Marguerite de Thérelles allait mourir (Маргарита де Терель умирала). Bien qu’elle n’eût que cinquante et six ans (хотя ей было только пятьдесят шесть лет), elle en paraissait au moins soixante et quinze (она выглядела не менее чем на семьдесят пять = старше семидесяти пяти лет; paraître – показываться; казаться; au moins – по меньшей мере). Elle haletait, plus pâle que ses draps (она задыхалась, /была/ бледнее простыни; haleter – прерывисто, тяжело дышать; задыхаться; drap, m), secouée de frissons épouvantables (ее сотрясала ужасная дрожь; frisson, m – дрожь, озноб; содрогание; frissonner – чувствовать озноб; содрогаться), la figure convulsée (все тело содрогалось; se convulser – биться в судорогах), l’œil hagard, comme si une chose horrible lui eût apparu (взгляд блуждал, словно ей привиделось что-то ужасное: «страшная вещь явилась ей»; œil, m – глаз; взгляд; hagard – дикий; суровый; œil hagard – растерянный, блуждающий взгляд; apparaître – появляться, являться).
Sa sœur aînée, Suzanne, plus âgée de six ans (ее старшая сестра, Сюзанна, старше ее на шесть лет), à genoux près du lit, sanglotait (/стоя/ на коленях у ее кровати, рыдала; genou, m; sanglot, m – рыдание). Une petite table approchée de la couche de l’agonisante (на столике, придвинутом к ложу умирающей; approcher – приближать; придвигать; agoniser – агонизировать, находиться в агонии /при смерти/) portait, sur une serviette, deux bougies allumées (стояли на салфетке две зажженные свечи; porter – нести; /о предмете/ держать, поддерживать, нести на себе), car on attendait le prêtre qui devait donner l’extrême-onction et la communion dernière (так как они ожидали священника, который должен был соборовать и причастить перед смертью: «дать соборование и последнее причастие»; attendre; extrême-onction, f – соборование /умирающего/; extrême – крайний, предельный; onction, f – смазывание; /религ./ миропомазание).
Marguerite de Thérelles allait mourir. Bien qu’elle n’eût que cinquante et six ans, elle en paraissait au moins soixante et quinze. Elle haletait, plus pâle que ses draps, secouée de frissons épouvantables, la figure convulsée, l’œil hagard, comme si une chose horrible lui eût apparu.
Sa sœur aînée, Suzanne, plus âgée de six ans, à genoux près du lit, sanglotait. Une petite table approchée de la couche de l’agonisante portait, sur une serviette, deux bougies allumées, car on attendait le prêtre qui devait donner l’extrême-onction et la communion dernière.
L’appartement avait cet aspect sinistre qu’ont les chambres des mourants (квартира имела этот мрачный вид, какой имеют комнаты умирающих; mourir – умирать), cet air d’adieu désespéré (этот вид неминуемого прощания; désespéré – отчаянный, безнадежный). Des fioles traînaient sur les meubles (на полках валялись склянки; fiole, f; traîner – волочиться, тянуться; валяться в беспорядке, быть разбросанным), des linges traînaient dans les coins (в углах валялось белье; linge, m), repoussés d’un coup de pied ou de balai (отброшенное ногой: «ударом ноги» или половой щеткой; repousser – вновь толкать; отталкивать; balai, m – метла; половая щетка; balayer – мести). Les sièges en désordre semblaient eux-mêmes effarés (стулья, /расставленные/ в беспорядке, казалось, сами были растеряны; siège, m – сиденье; стул, кресло), comme s’ils avaient couru dans tous les sens (словно они разбежались в разные стороны; courir – бежать). La redoutable mort était là, cachée, attendant (грозная смерть была тут, спрятавшаяся, ожидающая; redouter – бояться, опасаться, страшиться).
L’appartement avait cet aspect sinistre qu’ont les chambres des mourants, cet air d’adieu désespéré. Des fioles traînaient sur les meubles, des linges traînaient dans les coins, repoussés d’un coup de pied ou de balai. Les sièges en désordre semblaient eux-mêmes effarés, comme s’ils avaient couru dans tous les sens. La redoutable mort était là, cachée, attendant.
L’histoire des deux sœurs était attendrissante (история сестер была трогательной). On la citait au loin (ее рассказывали повсюду; au loin – вдалеке, вдали, вдаль); elle avait fait pleurer bien des yeux (она вызывала слезы у многих /слушателей/: «она побуждала плакать много глаз»).
Suzanne, l’aînée, avait été aimée follement, jadis, d’un jeune homme (старшую, Сюзанну, когда-то безумно любил один молодой человек: «старшая была безумно любима…»; jadis – когда-то, некогда) qu’elle aimait aussi (которого она тоже любила). Ils furent fiancés (они были обручены; se fiancer – обручиться; fiancé, m – жених; fiancée, f – невеста), et on n’attendait plus que le jour fixé pour le contrat (и оставалось только дождаться дня, назначенного для свадьбы: «для контракта»), quand Henry de Sampierre était mort brusquement (как вдруг Анри де Сампьер внезапно умер).
Le désespoir de la jeune fille fut affreux (отчаяние девушки было велико; affreux – ужасный), et elle jura de ne se jamais marier (и она поклялась никогда не выходить замуж). Elle tint parole (она сдержала слово; tenir – держать; сдерживать; parole, f). Elle prit des habits de veuve qu’elle ne quitta plus (она надела вдовье платье, которое уже больше не снимала; prendre – брать; надеть, начать носить; habit, m – /уст./ одежда, платье; veuf/veuve – вдовец/вдова; quitter – покидать; снимать /одежду/).
L’histoire des deux sœurs était attendrissante. On la citait au loin; elle avait fait pleurer bien des yeux.
Suzanne, l’aînée, avait été aimée follement, jadis, d’un jeune homme qu’elle aimait aussi. Ils furent fiancés, et on n’attendait plus que le jour fixé pour le contrat, quand Henry de Sampierre était mort brusquement.
Le désespoir de la jeune fille fut affreux, et elle jura de ne se jamais marier. Elle tint parole. Elle prit des habits de veuve qu’elle ne quitta plus.
Alors sa sœur, sa petite sœur Marguerite (тогда ее сестра, ее маленькая сестра Маргарита), qui n’avait encore que douze ans (которой было еще только двенадцать лет), vint, un matin, se jeter dans les bras de l’aînée (как-то утром бросилась: «пришла броситься» в объятия старшей; bras, m – рука), et lui dit (и сказала ей): « Grande sœur, je ne veux pas que tu sois malheureuse (старшая /моя/ сестра, я не хочу, чтобы ты была несчастна; grand – большой, старший). Je ne veux pas que tu pleures toute ta vie (я не хочу, чтобы ты плакала всю жизнь). Je ne te quitterai jamais, jamais, jamais (я тебя не покину никогда, никогда, никогда)! Moi, non plus, je ne me marierai pas (я тоже не выйду замуж). Je resterai près de toi, toujours, toujours, toujours (я останусь рядом с тобой навсегда, навсегда, навсегда). »
Alors sa sœur, sa petite sœur Marguerite, qui n’avait encore que douze ans, vint, un matin, se jeter dans les bras de l’aînée, et lui dit: « Grande sœur, je ne veux pas que tu sois malheureuse. Je ne veux pas que tu pleures toute ta vie. Je ne te quitterai jamais, jamais, jamais! Moi, non plus, je ne me marierai pas. Je resterai près de toi, toujours, toujours, toujours. »
Suzanne l’embrassa attendrie par ce dévouement d’enfant (Сюзанна поцеловала ее, растроганная этой детской преданностью; dévoué – преданный; enfant, m – ребенок), et n’y crut pas (и не поверила этому; croire).
Mais la petite aussi tint parole (но младшая тоже сдержала слово) et, malgré les prières des parents (и, несмотря на просьбы родителей; prière, f – молитва; просьба; prier – молиться; просить), malgré les supplications de l’aînée (несмотря на мольбы старшей сестры; supplier – умолять; упрашивать), elle ne se maria jamais (она так и не вышла замуж). Elle était jolie, fort jolie (она была хорошенькой, очень хорошенькой); elle refusa bien des jeunes gens qui semblaient l’aimer (она отказала многим молодым людям, которые, казалось, любили ее); elle ne quitta plus sa sœur (она так и не покинула свою сестру).
Suzanne l’embrassa attendrie par ce dévouement d’enfant, et n’y crut pas.
Mais la petite aussi tint parole et, malgré les prières des parents, malgré les supplications de l’aînée, elle ne se maria jamais. Elle était jolie, fort jolie; elle refusa bien des jeunes gens qui semblaient l’aimer; elle ne quitta plus sa sœur.
Elles vécurent ensemble tous les jours de leur existence (они прожили вместе всю жизнь: «все дни их жизни»; vivre; existence, f – существование; жизнь; exister – существовать), sans se séparer une seule fois (ни разу не разлучившись). Elles allèrent côte à côte, inséparablement unies (они шли бок о бок, неразлучно связанные; séparer – отделять; разделять; unir – соединять). Mais Marguerite sembla toujours triste, accablée, plus morne que l’aînée (но Маргарита всегда казалась более грустной, более подавленной, более угрюмой, чем старшая сестра) comme si peut-être son sublime sacrifice l’eût brisée (словно ее великая жертва сломила ее; sublime – возвышенный, высокий; sacrifier – приносить в жертву; briser – разбивать; /перен./ сломить). Elle vieillit plus vite (она быстрее состарилась; vieux/vieille – старый/старая), prit des cheveux blancs dès l’âge de trente ans (у нее появились седые волосы с тридцати лет; prendre – брать; получать; blanc – белый; седой; âge, m) et, souvent souffrante, semblait atteinte d’un mal inconnu qui la rongeait (и она часто болела, будто неизвестная болезнь снедала ее изнутри; souffrant – страдающий; больной, нездоровый; souffrir – страдать; чувствовать боль; atteint – пораженный, задетый; atteindre – достигать; затрагивать; mal, m – зло; болезнь; ronger – грызть; мучить, терзать).
Maintenant elle allait mourir la première (теперь она умирала первой).
Elles vécurent ensemble tous les jours de leur existence, sans se séparer une seule fois. Elles allèrent côte à côte, inséparablement unies. Mais Marguerite sembla toujours triste, accablée, plus morne que l’aînée comme si peut-être son sublime sacrifice l’eût brisée. Elle vieillit plus vite, prit des cheveux blancs dès l’âge de trente ans et, souvent souffrante, semblait atteinte d’un mal inconnu qui la rongeait.
Maintenant elle allait mourir la première.
Elle ne parlait plus depuis vingt-quatre heures (уже сутки она не разговаривала). Elle avait dit seulement, aux premières lueurs de l’aurore (она только сказала с первыми лучами зари = на рассвете; lueur, f – слабый свет; aurore, f):
– Allez chercher monsieur le curé, voici l’instant (позовите господина кюре, пришел момент; aller chercher qn – пойти за кем-либо: «пойти искать кого-либо»).
Et elle était demeurée ensuite sur le dos, secouée de spasmes (после этого она все время лежала на спине в конвульсиях; demeurer – жить; оставаться; пребывать /в каком-либо состоянии/; secouer – трясти; spasme, m – спазм, конвульсия, судорога), les lèvres agitées comme si des paroles terribles lui fussent montées du cœur, sans pouvoir sortir (шевеля губами, словно ужасные слова рвались из ее сердца, не имея возможности выйти = сорваться с языка; agiter – махать, качать, колебать, колыхать; monter – подниматься; выступать), le regard affolé d’épouvante, effroyable à voir (с безумным от страха взглядом, на нее было страшно смотреть; affolé – обезумевший, безумный; épouvante, f – ужас, страх; effroyable – ужасающий, страшный).
Elle ne parlait plus depuis vingt-quatre heures. Elle avait dit seulement, aux premières lueurs de l’aurore :
– Allez chercher monsieur le curé, voici l’instant.
Et elle était demeurée ensuite sur le dos, secouée de spasmes, les lèvres agitées comme si des paroles terribles lui fussent montées du cœur, sans pouvoir sortir, le regard affolé d’épouvante, effroyable à voir.
Sa sœur, déchirée par la douleur, pleurait éperdument (ее сестра, раздираемая болью, исступленно плакала; déchirer – рвать; терзать, мучить; éperdument – без памяти, безумно, неудержимо; исступленно; éperdu – растерявшийся, потерявший голову;сильный, отчаянный /о чувстве/), le front sur le bord du lit (/припав/ лбом к краю постели), et répétait (и повторяла):
– Margot, ma pauvre Margot, ma petite (Марго, моя бедная Марго, малышка моя)!
Elle l’avait toujours appelée: « ma petite » (она ее всегда называла «моя малышка»), de même que la cadette l’avait toujours appelée: « grande sœur » (а младшая всегда звала ее «моя старшая сестра»).
Sa sœur, déchirée par la douleur, pleurait éperdument, le front sur le bord du lit, et répétait :
– Margot, ma pauvre Margot, ma petite !
Elle l’avait toujours appelée: « ma petite », de même que la cadette l’avait toujours appelée: « grande sœur ».
On entendit des pas dans l’escalier (на лестнице послышались шаги; entendre; escalier, m). La porte s’ouvrit (дверь открылась). Un enfant de chœur parut (появился мальчик-певчий; chœur, m – хор; клирос), suivi du vieux prêtre en surplis (за которым шел старый священник в комже; suivre qn – следовать за кем-либо, идти за кем-либо; surplis, m – стихарь, комжа /элемент литургического облачения в католицизме/). Dès qu’elle l’aperçut, la mourante s’assit d’une secousse (как только умирающая заметила его, она порывисто села; apercevoir; s’asseoir; secousse, f – толчок, сотрясение), ouvrit les lèvres, balbutia deux ou trois paroles (открыла уста и пробормотала несколько слов; lèvre, f – губа), et se mit à gratter ses ongles comme si elle eût voulu y faire un trou (и принялась царапать своими ногтями /по простыне/, словно она хотела проделать в ней дыру; ongle, m).
On entendit des pas dans l’escalier. La porte s’ouvrit. Un enfant de chœur parut, suivi du vieux prêtre en surplis. Dès qu’elle l’aperçut, la mourante s’assit d’une secousse, ouvrit les lèvres, balbutia deux ou trois paroles, et se mit à gratter ses ongles comme si elle eût voulu y faire un trou.
L’abbé Simon s’approcha, lui prit la main (аббат Симон подошел, взял ее за руку; s’approcher – приблизиться; подойти), la baisa sur le front et, d’une voix douce (поцеловал ее в лоб и /сказал/ ласково: «ласковым голосом»; doux – сладкий; добрый):
– Dieu vous pardonne, mon enfant (Бог прощает вас, дитя мое); ayez du courage, voici le moment venu, parlez (мужайтесь: «имейте мужество», вот и пришло время: «момент», говорите; venir – приходить; наступать).
Alors, Marguerite, grelottant de la tête aux pieds (тогда Маргарита, дрожа /всем телом/ от головы до пят; grelotter – дрожать /от холода/; pied, m – нога, ступня), secouant toute sa couche de ses mouvements nerveux, balbutia (сотрясая постель своими нервными движениями, пробормотала):
– Assieds-toi, grande sœur, écoute (садись, моя старшая сестра, слушай).
L’abbé Simon s’approcha, lui prit la main, la baisa sur le front et, d’une voix douce :
– Dieu vous pardonne, mon enfant; ayez du courage, voici le moment venu, parlez.
Alors, Marguerite, grelottant de la tête aux pieds, secouant toute sa couche de ses mouvements nerveux, balbutia :
– Assieds-toi, grande sœur, écoute.
Le prêtre se baissa vers Suzanne (священник нагнулся к Сюзанне), toujours abattue au pied du lit, la releva, la mit dans un fauteuil (которая все еще сидела у изножья кровати, поднял ее и посадил в кресло; s’abattre – повалиться; опуститься; pied, m – нога; ножка /мебели/;pied d’un lit – изножье кровати; mettre – ставить, помещать) et, prenant dans chaque main la main d’une des deux sœurs, il prononça (и, взяв в каждую руку = в свои руки руку каждой сестры, он произнес):
– Seigneur, mon Dieu (Господи Боже мой)! envoyez-leur la force (ниспошли им силы; envoyer – посылать), jetez sur elles votre miséricorde (будь милостив к ним; jeter – бросать; распространять; miséricorde, f – милосердие, сострадание).
Et Marguerite se mit à parler (и Маргарита заговорила). Les mots lui sortaient de la gorge un à un (слова, одно за другим, вырывались из ее горла; sortir – выходить; появляться), rauques, scandés, comme exténués (хриплые, отрывистые, словно угасающие; scander – скандировать; говорить по слогам; s’exténuer – изнуряться; обессилевать).
Le prêtre se baissa vers Suzanne, toujours abattue au pied du lit, la releva, la mit dans un fauteuil et, prenant dans chaque main la main d’une des deux sœurs, il prononça :
– Seigneur, mon Dieu! envoyez-leur la force, jetez sur elles votre miséricorde.
Et Marguerite se mit à parler. Les mots lui sortaient de la gorge un à un, rauques, scandés, comme exténués.
– Pardon, pardon, grande sœur, pardonne-moi (прости, прости, моя старшая сестра, прости меня)! Oh! si tu savais (ах, знала бы ты) comme j’ai eu peur de ce moment-là, toute ma vie (как я боялась этого часа всю мою жизнь)!…
Suzanne balbutia, dans ses larmes (Сюзанна пробормотала сквозь слезы):
– Quoi te pardonner, petite (в чем тебя простить, малышка)? Tu m’as tout donné, tout sacrifié; tu es un ange (ты мне все отдала, всем пожертвовала, ты ангел)…
– Pardon, pardon, grande sœur, pardonne-moi! Oh! si tu savais comme j’ai eu peur de ce moment-là, toute ma vie !…
Suzanne balbutia, dans ses larmes :
– Quoi te pardonner, petite? Tu m’as tout donné, tout sacrifié; tu es un ange…
Mais Marguerite l’interrompit (но Маргарита перебила ее; interrompre – прерывать; перебивать):
– Tais-toi, tais-toi (молчи, молчи; se taire)! Laisse-moi dire (дай мне сказать)… ne m’arrête pas (не перебивай: «не останавливай» меня)… C’est affreux (это ужасно)… laisse-moi dire tout (дай мне сказать все)… jusqu’au bout, sans bouger (до конца, не шевелись)… Écoute (слушай)… Tu te rappelles (ты помнишь)… tu te rappelles (ты помнишь)… Henry (Анри)…
Suzanne tressaillit et regarda sa sœur (Сюзанна вздрогнула и посмотрела на сестру). La cadette reprit (младшая продолжила; reprendre – снова брать; продолжить):
Mais Marguerite l’interrompit :
– Tais-toi, tais-toi! Laisse-moi dire… ne m’arrête pas… C’est affreux… laisse-moi dire tout… jusqu’au bout, sans bouger… Écoute… Tu te rappelles… tu te rappelles… Henry…
Suzanne tressaillit et regarda sa sœur. La cadette reprit :
– Il faut que tu entendes tout pour comprendre (нужно, чтобы ты выслушала = ты должна выслушать все, чтобы понять). J’avais douze ans, seulement douze ans, tu te le rappelles bien, n’est-ce pas (мне было двенадцать, всего двенадцать лет, ты хорошо помнишь, не так ли)? Et j’étais gâtée, je faisais tout ce que je voulais (и я была избалованной, я делала все, что хотела; gâté – испорченный; избалованный)!… Tu te rappelles bien comme on me gâtait (ты хорошо помнишь, как меня баловали)?… Écoute (послушай)… La première fois qu’il est venu, il avait des bottes vernies (в первый раз, когда он пришел, на нем были лакированные сапоги; vernir – лакировать, покрывать лаком); il est descendu de cheval devant le perron (он сошел с лошади у крыльца; descendre – спускаться, слезать), et il s’est excusé sur son costume (и он извинился за свой костюм), mais il venait apporter une nouvelle à papa (но он пришел с какой-то новостью к папе; apporter – приносить). Tu te le rappelles, n’est-ce pas (ты помнишь, не так ли)?…
– Il faut que tu entendes tout pour comprendre. J’avais douze ans, seulement douze ans, tu te le rappelles bien, n’est-ce pas? Et j’étais gâtée, je faisais tout ce que je voulais !… Tu te rappelles bien comme on me gâtait ?… Écoute… La première fois qu’il est venu, il avait des bottes vernies; il est descendu de cheval devant le perron, et il s’est excusé sur son costume, mais il venait apporter une nouvelle à papa. Tu te le rappelles, n’est-ce pas ?…
Ne dis rien… écoute (не говори ничего, слушай). Quand je l’ai vu, j’ai été toute saisie (когда я его увидела, я была поражена; saisi – увлеченный; пораженный; saisir – хватать, схватывать; захватывать), tant je l’ai trouvé beau (он мне показался таким красивым: «таким красивым я его нашла»; trouver – находить; считать, находить), et je suis demeurée debout dans un coin du salon tout le temps qu’il a parlé (и я стояла в углу гостиной все время, что он говорил; demeurer – жить; пребывать /в каком-либо состоянии/; debout – стоя). Les enfants sont singuliers… et terribles (дети своеобразны и ужасны; singulier – единственный; своеобразный)… Oh! oui… j’en ai rêvé (ах, да, я мечтала о нем)!
Il est revenu… plusieurs fois (он вернулся … /приходил/ много раз)… je le regardais de tous mes yeux, de toute mon âme (я смотрела на него во все глаза, всей своей душой)… j’étais grande pour mon âge (я была старше своих лет: «большой для своего возраста»; grand – большой; взрослый)… et bien plus rusée qu’on ne croyait (и гораздо хитрее, чем думали). Il est revenu souvent (он часто приходил)… Je ne pensais qu’à lui (я думала только о нем). Je prononçais tout bas (я произносила совсем тихо):
– Henry… Henry de Sampierre (Анри, Анри де Сампьер)!
Ne dis rien… écoute. Quand je l’ai vu, j’ai été toute saisie, tant je l’ai trouvé beau, et je suis demeurée debout dans un coin du salon tout le temps qu’il a parlé. Les enfants sont singuliers… et terribles… Oh! oui… j’en ai rêvé !
Il est revenu… plusieurs fois… je le regardais de tous mes yeux, de toute mon âme… j’étais grande pour mon âge… et bien plus rusée qu’on ne croyait. Il est revenu souvent… Je ne pensais qu’à lui. Je prononçais tout bas :
– Henry… Henry de Sampierre !
Puis on a dit qu’il allait t’épouser (потом сказали, что он собирается на тебе жениться). Ce fut un chagrin (/для меня/ это было горе)… oh! grande sœur… un chagrin… un chagrin (ох, моя старшая сестра, горе, горе)! J’ai pleuré trois nuits, sans dormir (я проплакала три ночи без сна; dormir – спать). Il revenait tous les jours, l’après-midi, après son déjeuner (он приходил каждый день во второй половине дня, позавтракав: «после своего завтрака»; revenir – возвращаться, снова приходить; après-midi, m – вторая половина дня, время после полудня; midi, m – полдень)… tu te le rappelles, n’est-ce pas (ты помнишь, не так ли)! Ne dis rien… écoute (не говори ничего, слушай). Tu lui faisais des gâteaux qu’il aimait beaucoup (ты готовила ему пирожные, которые он очень любил; gâteau, m)… avec de la farine, du beurre et du lait (из муки, сливочного масла и молока)… Oh! je sais bien comment (о, я тоже умела их готовить: «я тоже знаю как»)… J’en ferais encore s’il le fallait (я бы и сейчас приготовила их, если бы понадобилось). Il les avalait d’une seule bouchée (он проглатывал их целиком; bouchée, f – количество пищи, принимаемое за один раз, кусок), et puis il buvait un verre de vin (потом он выпивал стакан вина; boire)… et puis il disait: « C’est délicieux (а потом он говорил: «Вкусно»). » Tu te rappelles comme il disait ça (ты помнишь, как он говорил это)?
Puis on a dit qu’il allait t’épouser. Ce fut un chagrin… oh! grande sœur… un chagrin… un chagrin! J’ai pleuré trois nuits, sans dormir. Il revenait tous les jours, l’après-midi, après son déjeuner… tu te le rappelles, n’est-ce pas! Ne dis rien… écoute. Tu lui faisais des gâteaux qu’il aimait beaucoup… avec de la farine, du beurre et du lait… Oh! je sais bien comment… J’en ferais encore s’il le fallait. Il les avalait d’une seule bouchée, et puis il buvait un verre de vin… et puis il disait: « C’est délicieux. » Tu te rappelles comme il disait ça ?
J’étais jalouse, jalouse (я ревновала, ревновала; jaloux – завистливый; ревнивый)!… Le moment de ton mariage approchait (время: «момент» твоей свадьбы приближалось). Il n’y avait plus que quinze jours (оставалось всего пятнадцать дней = две недели). Je devenais folle (я сходила с ума: «становилась безумной»; devenir). Je me disais (я говорила себе): Il n’épousera pas Suzanne, non, je ne veux pas (он не женится на Сюзанне, нет, я не хочу этого)!… C’est moi qu’il épousera, quand je serai grande (он женится на мне, когда я вырасту: «буду взрослой»; grand – большой; взрослый). Jamais je n’en trouverai un que j’aime autant (я никогда не найду кого-то другого, которого буду так же любить)… Mais un soir, dix jours avant ton contrat (но как-то вечером, за десять дней до твоей свадьбы), tu t’es promenée avec lui devant le château, au clair de lune (ты гуляла с ним перед замком при свете луны; lune, f)… et là-bas… sous le sapin, sous le grand sapin… il t’a embrassée (и там, под елью, под большой елью он поцеловал тебя)… embrassée… dans ses deux bras… si longtemps (целовал, /заключив/ в объятия, так долго)… Tu te le rappelles, n’est-ce pas (ты это помнишь, не так ли)! C’était probablement la première fois… oui (это, вероятно, было в первый раз… да)… Tu étais si pâle en rentrant au salon (ты была так бледна, когда вернулась в гостиную)!
J’étais jalouse, jalouse !… Le moment de ton mariage approchait. Il n’y avait plus que quinze jours. Je devenais folle. Je me disais: Il n’épousera pas Suzanne, non, je ne veux pas !… C’est moi qu’il épousera, quand je serai grande. Jamais je n’en trouverai un que j’aime autant… Mais un soir, dix jours avant ton contrat, tu t’es promenée avec lui devant le château, au clair de lune… et là-bas… sous le sapin, sous le grand sapin… il t’a embrassée… embrassée… dans ses deux bras… si longtemps… Tu te le rappelles, n’est-ce pas! C’était probablement la première fois… oui… Tu étais si pâle en rentrant au salon !
Je vous ai vus (я вас видела); j’étais là, dans le massif (я была там, в цветнике; massif, m – горный массив; цветник). J’ai eu une rage (я была в ярости; rage, f – бешенство; ярость)! Si j’avais pu, je vous aurais tués (если бы я могла, я бы убила вас /тогда/)!
Je me suis dit (я сказала себе): Il n’épousera pas Suzanne, jamais (он не женится на Сюзанне, никогда)! Il n’épousera personne (он ни на ком не женится). Je serais trop malheureuse (я была бы слишком несчастной)… Et tout d’un coup je me suis mise à le haïr affreusement (и вдруг я стала его ужасно ненавидеть).
Alors, sais-tu ce que j’ai fait (тогда, знаешь, что я сделала)?… écoute (послушай). J’avais vu le jardinier préparer des boulettes (я видела, как садовник готовит котлеты; boulette, f – шарик; котлета) pour tuer des chiens errants (чтобы убить бродячих собак; errer – блуждать; бродить). Il écrasait une bouteille avec une pierre (он измельчал бутылку камнем; écraser – давить; измельчать) et mettait le verre pilé dans une boulette de viande (и клал толченое стекло в мясную котлету; piler – толочь, растирать).
Je vous ai vus; j’étais là, dans le massif. J’ai eu une rage! Si j’avais pu, je vous aurais tués !
Je me suis dit: Il n’épousera pas Suzanne, jamais! Il n’épousera personne. Je serais trop malheureuse… Et tout d’un coup je me suis mise à le haïr affreusement.
Alors, sais-tu ce que j’ai fait ?… écoute. J’avais vu le jardinier préparer des boulettes pour tuer des chiens errants. Il écrasait une bouteille avec une pierre et mettait le verre pilé dans une boulette de viande.
J’ai pris chez maman une petite bouteille de pharmacien (я взяла у мамы маленькую аптекарскую склянку; bouteille, f – бутылка; склянка; pharmacien, m – аптекарь; pharmacie, f – аптека), je l’ai broyée avec un marteau (истолкла ее молотком), et j’ai caché le verre dans ma poche (и спрятала стекло в кармане). C’était une poudre brillante (это был блестящий порошок; briller – блестеть)… Le lendemain, comme tu venais de faire les petits gâteaux (на следующий день, когда ты только что приготовила пирожные), je les ai fendus avec un couteau et j’ai mis le verre dedans (я разрезала их ножом и положила стекло внутрь; fendre – раскалывать; разрезать)… Il en a mangé trois (он съел три пирожных)… moi aussi, j’en ai mangé un (я тоже, я съела одно)… J’ai jeté les six autres dans l’étang (я выбросила остальные шесть в пруд; étang, m)… les deux cygnes sont morts trois jours après (два лебедя умерли три дня спустя)… Tu te le rappelles (помнишь)?… Oh! ne dis rien… écoute, écoute (о, не говори ничего, слушай, слушай)…
J’ai pris chez maman une petite bouteille de pharmacien, je l’ai broyée avec un marteau, et j’ai caché le verre dans ma poche. C’était une poudre brillante… Le lendemain, comme tu venais de faire les petits gâteaux, je les ai fendus avec un couteau et j’ai mis le verre dedans… Il en a mangé trois… moi aussi, j’en ai mangé un… J’ai jeté les six autres dans l’étang… les deux cygnes sont morts trois jours après… Tu te le rappelles ?… Oh! ne dis rien… écoute, écoute…
Moi seule, je ne suis pas morte (одна я не умерла)… mais j’ai toujours été malade (но я всегда болела: «была больной»)… écoute (слушай)… Il est mort (он умер)… tu sais bien (ты знаешь)… écoute… ce n’est rien cela (слушай… это не важно)… C’est après, plus tard… toujours… le plus terrible (это после, позже, как всегда… самое страшное)… écoute (слушай)…
Ma vie, toute ma vie… quelle torture (моя жизнь, вся моя жизнь, какая это была мука; torture, f – пытка; мука; torturer – пытать, мучить)! Je me suis dit (я сказала себе): Je ne quitterai plus ma sœur (я больше не оставлю сестру). Et je lui dirai tout, au moment de mourir (и я скажу ей все в тот момент, как буду умирать)… Voilà (вот). Et depuis, j’ai toujours pensé à ce moment-là (и с тех пор я всегда думала об этом моменте), à ce moment-là où je te dirais tout (о моменте, когда я тебе все расскажу)… Le voici venu (вот он пришел)… C’est terrible (это ужасно)… Oh !… grande sœur (о, моя старшая сестра)!
Moi seule, je ne suis pas morte… mais j’ai toujours été malade… écoute… Il est mort… tu sais bien… écoute… ce n’est rien cela… C’est après, plus tard… toujours… le plus terrible… écoute…
Ma vie, toute ma vie… quelle torture! Je me suis dit: Je ne quitterai plus ma sœur. Et je lui dirai tout, au moment de mourir… Voilà. Et depuis, j’ai toujours pensé à ce moment-là, à ce moment-là où je te dirais tout… Le voici venu… C’est terrible… Oh !… grande sœur !
J’ai toujours pensé, matin et soir, le jour, la nuit (я всегда думала, утром и вечером, днем и ночью): Il faudra que je lui dise cela, une fois (однажды надо будет ей это сказать)… J’attendais (я ждала)… Quel supplice (какая пытка; supplice, m – казнь; /перен./ пытка)!… C’est fait (это сделано = вот я и рассказала)… Ne dis rien (не говори ничего)… Maintenant, j’ai peur… j’ai peur… oh! j’ai peur (теперь мне страшно… мне страшно … о, /как/ мне страшно; peur, f – страх)! Si j’allais le revoir, tout à l’heure, quand je serai morte (а если я его снова увижу сейчас, когда умру)… Le revoir… y songes-tu (увижу его, подумай только; songer – мечтать; думать)?… La première (первая)!… Je n’oserai pas (я не посмею)… Il le faut (но придется: «это нужно»)… Je vais mourir (я умру)… Je veux que tu me pardonnes (я хочу, чтобы ты меня простила). Je le veux (я хочу этого)… Je ne peux pas m’en aller sans cela devant lui (я не могу предстать перед ним без этого = без твоего прощения; s’en aller – уходить; умирать). Oh! dites-lui de me pardonner, monsieur le curé (о, скажите ей, чтобы она простила меня, господин кюре), dites-lui… je vous en prie (скажите ей… прошу вас). Je ne peux mourir sans ça (я не могу умереть без этого)…
J’ai toujours pensé, matin et soir, le jour, la nuit: Il faudra que je lui dise cela, une fois… J’attendais… Quel supplice !… C’est fait… Ne dis rien… Maintenant, j’ai peur… j’ai peur… oh! j’ai peur! Si j’allais le revoir, tout à l’heure, quand je serai morte… Le revoir… y songes-tu ?… La première !… Je n’oserai pas… Il le faut… Je vais mourir… Je veux que tu me pardonnes. Je le veux… Je ne peux pas m’en aller sans cela devant lui. Oh! dites-lui de me pardonner, monsieur le curé, dites-lui… je vous en prie. Je ne peux mourir sans ça…
Elle se tut, et demeura haletante (она замолчала и тяжело дышала; se taire; haleter – тяжело дышать), grattant toujours le drap de ses ongles crispés (по-прежнему судорожно царапая простыню своими ногтями; crispé – сморщенный; судорожно сжатый)…
Suzanne avait caché sa figure dans ses mains et ne bougeait plus (Сюзанна закрыла лицо руками: «спрятала лицо в руках» и не шевелилась). Elle pensait à lui qu’elle aurait pu aimer si longtemps (она думала о нем, которого она могла бы так долго любить)! Quelle bonne vie ils auraient eue (какая счастливая жизнь была бы у них; bon – хороший; приятный)! Elle le revoyait, dans l’autrefois disparu (она снова видела его в исчезнувшем прошлом; autrefois —прежде, когда-то, некогда; disparaître – исчезать), dans le vieux passé à jamais éteint (в прежней далекой жизни, навсегда угасшей; vieux – старый; старинный; passé, m – прошлое; s’éteindre – гаснуть; тускнуть; угасать). Morts chéris (дорогие усопшие; mort, m – покойник; умерший)! comme ils vous déchirent le cœur (как же они терзают вам сердце; déchirer – рвать; мучить, причинять боль)! Oh! ce baiser, son seul baiser (о, этот поцелуй, этот единственный поцелуй)! Elle l’avait gardé dans l’âme (она сохранила его в душе; garder – охранять; сохранить /в тайне/). Et puis plus rien, plus rien dans toute son existence (и после /него/ ничего, ничего за всю жизнь)!…
Elle se tut, et demeura haletante, grattant toujours le drap de ses ongles crispés…
Suzanne avait caché sa figure dans ses mains et ne bougeait plus. Elle pensait à lui qu’elle aurait pu aimer si longtemps! Quelle bonne vie ils auraient eue! Elle le revoyait, dans l’autrefois disparu, dans le vieux passé à jamais éteint. Morts chéris! comme ils vous déchirent le cœur! Oh! ce baiser, son seul baiser! Elle l’avait gardé dans l’âme. Et puis plus rien, plus rien dans toute son existence !…
Le prêtre tout à coup se dressa (вдруг священник встал) et, d’une voix forte, vibrante, il cria (и громко взволнованно крикнул; voix, f – голос; fort – сильный; громкий; vibrant – вибрирующий, взволнованный):
– Mademoiselle Suzanne, votre sœur va mourir (мадемуазель Сюзанна, ваша сестра сейчас умрет)!
Alors Suzanne, ouvrant ses mains, montra sa figure trempée de larmes (тогда Сюзанна, опуская руки, показала свое мокрое от слез лицо; ouvrir – открывать; tremper – окунать; мочить; larme, f), et, se précipitant sur sa sœur, elle la baisa de toute sa force en balbutiant (и, бросившись к сестре, она крепко: «изо всех сил» поцеловала ее, прошептав; se précipiter – устремляться вниз; бросаться, устремляться; balbutier – говорить невнятно, бормотать):
– Je te pardonne, je te pardonne, petite (я прощаю тебя, я тебя прощаю, моя малышка)…
Le prêtre tout à coup se dressa et, d’une voix forte, vibrante, il cria :
– Mademoiselle Suzanne, votre sœur va mourir !
Alors Suzanne, ouvrant ses mains, montra sa figure trempée de larmes, et, se précipitant sur sa sœur, elle la baisa de toute sa force en balbutiant :
– Je te pardonne, je te pardonne, petite…