Книга: L'oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке
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Морис Метерлинк

Синяя птица Книга для чтения на французском языке

Об авторе

Символизм – одно из крупнейших направлений в искусстве, возникшее во Франции в 1870–1880-х годах и достигшее наибольшего развития на рубеже XIX и XX веков, прежде всего во Франции, Бельгии и России.

Бельгийский писатель, поэт, философ, лауреат Нобелевской премии по литературе за 1911 год Морис Метерлинк (1862– 1949), наряду с Эмилем Верхарном, является представителем символизма в бельгийской литературе. Метерлинк – автор большого числа пьес, стихов, литературных эссе. Всемирную славу ему принесла пьеса-притча «Синяя птица» (1908), юные герои которой Тильтиль и Митиль отправляются на поиски смысла жизни, счастья, мечты. Их сопровождают души обыденных вещей и существ – хлеба, сахара, воды, огня, собаки, кошки. Герои побывали в Стране Воспоминаний, где встретились со своими покойными бабушкой и дедушкой, братьями и сестрами, в Стране Будущего, где познакомились с еще не родившимися детьми, которых неумолимое Время отправляет на землю – каждого в отведенный ему час. А Синяя птица, символ счастья, мечты и надежды, обнаружилась в их старом бедном доме, но – улетела…

В «Синей птице» предельно наглядны основные мотивы творчества Метерлинка: развенчание примитивных радостей низшего, сугубо материального порядка (их в пьесе олицетворяют «Тучные блаженства») в сопоставлении с неотъемлемыми духовными ценностями человеческой натуры, конкретизируемыми как «Радость быть справедливым», «Радость быть добрым», «Радость завершенной работы», «Радость мыслить», «Радость созерцать прекрасное», вплоть до «Радостей, которых люди еще не узнали».

Сущность пьесы, значение для нее фольклорной традиции искусства, ее глубинный пафос, присущий и творчеству Метерлинка в целом, лучше всего охарактеризовал Блок: «Только сказка умеет с легкостью стирать черту между обычным и необычным, и в этом вся соль пьесы… » И далее: «…счастья нет, счастье всегда улетает как птица, говорит сказка; и сейчас же та же сказка говорит нам другое: счастье есть, счастье всегда с нами, только не бойтесь его искать. И за этой двойной истиной, неуловимой, как сама Синяя птица, трепещется поэзия, волнуется по ветру ее праздничный флаг, бьется ее вечно юное сердце».

Costumes

TYLTYL: Costume du Petit Poucet dans les contes de Perrault: petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.

MYTYL: Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.

LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c’est-à-dire d’or pâle à reflets d’argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc. Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter Crane ou même plus ou moins Empire. – Taille haute, bras nus, etc. – Coiffure: sorte de diadème ou même de couronne légère.

LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier acte la transformation de la Fée en princesse.

LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND’MAMAN TYL: Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans les contes de Grimm.

LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL: Variantes du costume du Petit Poucet.

LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros bleu, barbe blanche et flottante, faux, sablier.

L’AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la Lumière, c’est-à-dire voiles souples et presque transparents de statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries aussi riches et aussi nombreuses qu’on voudra, pourvu qu’elles ne rompent pas l’harmonie pure et candide de l’ensemble.

LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, sourire d’eau, rosée d’ambre, azur d’aurore, etc.

LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l’on veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais idéalisés et féeriquement nterprétés.

LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds manteaux de brocarts rouges et jaunes, bioux énormes et épais, etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant l’impression de pan-tins en baudruche.

LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.

LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, longue robe blanche.

LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull.

LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes

Il convient que les têtes de ces deux personnages soient discrètement animalisées.

LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de velours cramoisi, broché d’or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre énorme, face rouge et extrêmement joufflue.

LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d’emballage des pains de sucre; coiffure des gardiens du sérail.

LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, doublé d’or. Aigrette de flammes versicolores.

L’EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d’Âne, c’est-à-dire bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze ruisselante, également style néo- ou anglogrec, mais plus ample, plus flottant. Coiffure de fleurs et d’algues ou de roseaux.

LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.

LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc d’arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent reconnaître.

ACTE PREMIER

Premier tableau

La cabane du bûcheron

Le théâtre représente l’intérieur d’une cabane de bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable. – Cheminée à manteau où s’assoupit un feu de bûches. – Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids, rouet, fontaine, etc. – Sur une table, une lampe allumée. – Au pied de l’armoire, de chaque côté de celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et une Chatte. – Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et bleu. – Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une tourterelle. – Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs sont fermés. – Sous l’une des fenêtres, un escabeau. – À gauche, la porte d’entrée de la maison, munie d’un gros loquet. – À droite, une autre porte. – Échelle menant à un grenier. – Également à droite, deux petits lits d’enfant, au chevet desquels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.

[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête dans l’en-trebâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à droite sur la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont l’intensité augmente peu à peu filtre par les lames des volets. La lampe sur la table se rallume d’elle-même. Les deux enfants semblent s’éveiller et se mettent sur leur séant.]

TYLTYL. Mytyl?

MYTYL. Tyltyl?

TYLTYL. Tu dors?

MYTYL. Et toi?…

TYLTYL. Mais non, je dors pas puisque je te pare…

MYTYL. C’est Noël, dis?…

TYLTYL. Pas encore; c’est demain. Mais le petit Noël n’apportera rien cette année…

MYTYL. Pourquoi?…

TYLTYL. J’ai entendu maman qui disait qu’elle n’avait pu aller à la ville pour le prévenir… Mais il viendra l’année prochaine…

MYTYL. C’est long, l’année prochaine?…

TYLTYL. Ce n’est pas trop court… Mais il vient cette nuit chez les enfants riches…

MYTYL. Ah?…

TYLTYL. Tiens!… Maman a oublié la lampe!… J’ai une idée!…

MYTYL. ?…

TYLTYL. Nous allons nous lever…

MYTYL. C’est défendu…

TYLTYL. Puisqu’il n’y a personne… Tu vois les volets?…

MYTYL. Oh! qu’ils sont clairs!…

TYLTYL. C’est les lumières de la fête.

MYTYL. Quelle fête?

TYLTYL. En face, chez les petits riches. C’est l’arbre de Noël. Nous allons les ouvrir…

MYTYL. Est-ce qu’on peut?

TYLTYL. Bien sûr, puisqu’on est seuls… Tu entends la musique?… Levons-nous…

[Les deux enfants se lèvent, courent à l’une des fenêtres, montent sur l’escabeau et poussent les volets. Une vive clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent avidement au dehors.]

TYLTYL. On voit tout!…

MYTYL [qui ne trouve qu’une place précaire sur l’escabeau.] Je vois pas…

TYLTYL. Il neige!… Voilà deux voitures à six chevaux!…

MYTYL. Il en sort douze petits garçons!…

TYLTYL. T’es bête!… C’est des petites filles…

MYTYL. Ils ont des pantalons…

TYLTYL. Tu t’y connais… Ne me pousse pas ainsi!…

MYTYL. Je t’ai pas touché.

TYLTYL [qui occupe à lui seul tout l’escabeau]. Tu prends toute la place…

MYTYL. Mais j’ai pas du tout de place!…

TYLTYL. Tais-toi donc, on voit l’arbre!…

MYTYL. Quel arbre?…

TYLTYL. Mais l’arbre de Noël!… Tu regardes le mur!…

MYTYL. Je regarde le mur parce qu’y a pas de place…

TYLTYL [lui cédant une petite place avare sur l’escabeau.]. Là!… En as-tu assez?… C’est-y pas la meilleure?… Il y en a des lumières! Il y en a!…

MYTYL. Qu’est-ce qu’ils font donc ceux qui font tant de bruit?…

TYLTYL. Ils font de la musique.

MYTYL. Est-ce qu’ils sont fâchés?…

TYLTYL. Non, mais c’est fatigant.

MYTYL. Encore une voiture attelée de chevaux blancs!…

TYLTYL. Tais-toi!… Regarde donc!…

MYTYL. Qu’est-ce qui pend là, en or, après les branches?…

TYLTYL. Mais les jouets, pardi!… Des sabres, des fusils, des soldats, des canons…

MYTYL. Et des poupées, dis, est-ce qu’on en a mis?…

TYLTYL. Des poupées?… C’est trop bête; ça ne les amuse pas…

MYTYL. Et autour de la table, qu’est-ce que c’est tout ça?…

TYLTYL. C’est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème…

MYTYL. J’en ai mangé une fois, lorsque j’étais petite…

TYLTYL. Moi aussi; c’est meilleur que le pain, mais on en a trop peu…

MYTYL. Ils n’en ont pas trop peu… Il y en a plein la table… Est-ce qu’ils vont les manger?…

TYLTYL. Bien sûr; qu’en feraient-ils?…

MYTYL. Pourquoi qu’ils ne les mangent pas tout de suite?…

TYLTYL. Parce qu’ils n’ont pas faim…

MYTYL [stupéfaite]. Ils n’ont pas faim?… Pourquoi?…

TYLTYL. C’est qu’ils mangent quand ils veulent…

MYTYL [incrédule]. Tous les jours?…

TYLTYL. On le dit…

MYTYL. Est-ce qu’ils mangeront tout?… Est-ce qu’ils en donneront?…

TYLTYL. À qui?…

MYTYL. À nous…

TYLTYL. Ils ne nous connaissent pas…

MYTYL. Si on leur demandait?…

TYLTYL. Cela ne se fait pas.

MYTYL. Pourquoi?…

TYLTYL. Parce que c’est défendu.

MYTYL [battant des mains]. Oh! qu’ils sont donc olis!…

TYLTYL [enthousiasmé]. Et ils rient et ils rient!…

MYTYL. Et les petits qui dansent!…

TYLTYL. Oui, oui, dansons aussi!…

[Ils trépignent de joie sur l’escabeau.]

MYTYL. Oh! que c’est amusant!…

TYLTYL. On leur donne les gâteaux!… Ils peuvent y toucher!… Ils mangent! ils mangent! ils mangent!…

MYTYL. Les plus petits aussi!… Ils en ont deux, trois, quatre!…

TYLTYL [ivre de joie]. Oh! c’est bon!… Que c’est bon! que c’est bon!…

MYTYL [comptant des gâteaux imaginaires.] Moi, j’en ai reçu douze!…

TYLTYL. Et moi quatre fois douze!… Mais je t’en donnerai…

[On frappe à la porte de la cabane.]

TYLTYL [subitement calmé et effrayé]. Qu’est-ce que c’est?…

MYTYL [épouvantée]. C’est papa!…

[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se soulever de lui-même, en grinçant; la porte s’entrebâille pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et coiffée d’un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche courbée sur un bâton. Il n’est pas douteux que ce ne soit une fée.]

LA FÉE. Avez-vous ici l’herbe qui chante ou l’oiseau qui est bleu?…

TYLTYL. Nous avons de l’herbe, mais elle ne chante pas…

MYTYL. Tyltyl a un oiseau.

TYLTYL. Mais je ne peux pas le donner…

LA FÉE. Pourquoi?…

TYLTYL. Parce qu’il est à moi.

LA FÉE. C’est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?…

TYLTYL [montrant la cage]. Dans la cage…

LA FÉE [mettant ses besicles pour examiner l’oiseau]. Je n’en veux pas; il n’est pas assez bleu. Il faudra que vous m’alliez chercher celui dont j’ai besoin.

TYLTYL. Mais je ne sais pas où il est…

LA FÉE. Moi non plus. C’est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la rigueur me passer de l’herbe qui chante; mais il me faut absolument l’Oiseau Bleu. C’est pour ma petite fille qui est très malade.

TYLTYL. Qu’est-ce qu’elle a?…

LA FÉE. On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse…

TYLTYL. Ah?…

LA FÉE. Savez-vous qui je suis?…

TYLTYL. Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot…

LA FÉE [sefâchant subitement]. En aucune façon… Il n’y a aucun rapport… C’est abominable!… Je suis la Fée Bérylune…

TYLTYL. Ah! très bien…

LA FÉE. Il faudra partir tout de suite.

TYLTYL. Vous viendrez avec nous?…

LA FÉE. C’est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j’ai mis ce matin et qui s’empresse de déborder chaque fois que je m’absente plus d’une heure… [Montrant successivement le plafond, la cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou par là?…

TYLTYL [montrant timidement la porte]. J’aimerais mieux sortir par là…

LA FÉE [se fâchant encore subitement]. C’est absolument impossible, et c’est une habitude révoltante!… [Indiquant lafenêtre.] Nous sortirons par là… Eh bien!… Qu’attendez-vous?… Habillez-vous tout de suite… [Les enfants obéissent et s’habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl…

TYLTYL. Nous n’avons pas de souliers…

LA FÉE. Ça n’a pas d’importance. Je vais vous donner un petit chapeau merveilleux. Où sont donc vos parents?…

TYLTYL [montrant la porte à droite]. Ils sont là; ils dorment…

LA FÉE. Et votre bon-papa et votre bonne-maman?…

TYLTYL. Ils sont morts…

LA FÉE. Et vos petits frères et vos petites sœurs… Vous en avez?…

TYLTYL. Oui, oui; trois petits frères…

MYTYL. Et quatre petites sœurs…

LA FÉE. Où sont-ils?…

TYLTYL. Ils sont morts aussi…

LA FÉE. Voulez-vous les revoir?…

TYLTYL. Oh oui!… Tout de suite!… Montrezes!…

LA FÉE. Je ne les ai pas dans ma poche… Mais ça tombe à merveille; vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C’est sur la route de l’Oiseau Bleu. Tout de suite à gauche, après le troisième carrefour… Que faisiez-vous quand j’ai frappé?…

TYLTYL. Nous jouions à manger des gâteaux.

LA FÉE. Vous avez des gâteaux?… Où sont-ils?

TYLTYL. Dans le palais des enfants riches… Venez voir, c’est si beau!… [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.]

LA FÉE [à la fenêtre]. Mais ce sont les autres qui les mangent!…

TYLTYL. Oui; mais puisqu’on voit tout…

LA FÉE. Tu ne leur en veux pas?…

TYLTYL. Pourquoi?…

LA FÉE. Parce qu’ils mangent tout. Je trouve qu’ils ont grand tort de ne pas t’en donner…

TYLTYL. Mais non, puisqu’ils sont riches… Hein? que c’est beau chez eux!…

LA FÉE. Ce n’est pas plus beau que chez toi.

TYLTYL. Heu!… Chez nous c’est plus noir, plus petit, sans gâteaux…

LA FÉE. C’est absolument la même chose; c’est que tu n’y vois pas…

TYLTYL. Mais si, j’y vois très bien, et j’ai de très bons yeux. Je lis l’heure au cadran de l’église que papa ne voit pas…

LA FÉE [se fâchant subitement]. Je te dis que tu n’y vois pas!… Comment donc me vois-tu?… Comment donc suis-je faite?… Eh bien, [Silence gêné de Tyltyl.] répondras-tu? que je sache si tu vois?… Suis-je bele ou bien laide?… [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas répondre?… Suis-je jeune ou bien vieille?… Suis-je rose ou bien jaune?… j’ai peut-être une bosse?…

TYLTYL [conciliant]. Non, non, elle n’est pas grande…

LA FÉE. Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme… Ai-je le nez crochu et l’œil gauche crevé?…

TYLTYL. Non, non, je ne dis pas… Qui est-ce qui l’a crevé?…

LA FÉE [de plus en plus irritée]. Mais il n’est pas crevé!… Insolent! misérable!… Il est plus beau que ’autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu comme e ciel… Et mes cheveux, vois-tu?… Ils sont blonds comme les blés… on dirait de l’or vierge!… Et j’en ai tant et tant que la tête me pèse… Ils s’échappent de partout… Les vois-tu sur mes mains?… [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.]

TYLTYL. Oui, j’en vois quelques-uns…

LA FÉE [indignée]. Quelques-uns!… Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots d’or!… Je sais bien que des gens disent qu’ils n’en voient point; mais tu n’es pas de ces méchantes gens aveugles, je suppose?…

TYLTYL. Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point…

LA FÉE. Mais il faut voir les autres avec la même audace!… C’est bien curieux, les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point… Heureusement que j’ai toujours sur moi tout ce qu’il faut pour rallumer les yeux éteints… Qu’est-ce que je tire de mon sac?…

TYLTYL. Oh! le joli petit chapeau vert!… Qu’estce qui brille ainsi sur la cocarde?…

LA FÉE. C’est le gros Diamant qui fait voir…

TYLTYL. Ah!…

LA FÉE. Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu?… Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne ne connaît, et qui ouvre les yeux…

TYLTYL. Ça ne fait pas de mal?…

LA FÉE. Au contraire, il est fée… On voit à l’instant même ce qu’il y a dans les choses; l’âme du pain, du vin, du poivre, par exemple…

MYTYL. Est-ce qu’on voit aussi l’âme du sucre?… LA FÉE [subitement fâchée]. Cela va sans dire!… Je n’aime pas les questions inutiles… L’âme du sucre n’est pas plus intéressante que celle du poivre… Voilà, e vous donne ce que j’ai pour vous aider dans la recherche de l’Oiseau Bleu… Je sais bien que l’Anneauqui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus utiles… Mais j’ai perdu la clef de l’armoire où je les ai serrés… Ah! j’allais oublier… [Montrant le Diamant.] Quand on le tient ainsi, tu vois… un petit tour de plus, on revoit le Passé… Encore un petit tour, et l’on voit l’Avenir… C’est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit…

TYLTYL. Papa me le prendra…

LA FÉE. Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu’il est sur ta tête… Veux-tu l’essayer?… [Elle coiffe Tyltyl du petit chapeau vert.] À présent, tourne le Diamant… Un tour et puis après…

[À peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu’un changement soudain et prodigieux s’opère en toutes choses. La vieille fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s’illuminent, bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, scintillent, éblouissent à l’égal des pierres les plus précieuses. Le pauvre mobilier s’anime et resplendit; la table de bois blanc s’affirme aussi grave, aussi noble qu’une table de marbre, le cadran de l’horloge cligne de l’œil et sourit avec aménité, tandis que la porte derrière quoi va et vient le balancier s’entr’ouvre et laisse s’échapper les Heures, qui, se tenant les mains et riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d’une musique délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s’écrie en montrant les Heures.]

TYLTYL. Qu’est-ce que c’est que toutes ces belles dames?…

LA FÉE. N’aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses d’être libres et visibles un instant…

TYLTYL. Et pourquoi que les murs sont si clairs?… Est-ce qu’ils sont en sucre ou en pierres précieuses?…

LA FÉE. Toutes les pierres sont pareilles, toutes es pierres sont précieuses: mais l’homme n’en voit que quelques-unes…

[Pendant qu’ils parlent ainsi, la féerie continue et se complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres, sous la forme de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, sorti de l’âtre en maillot soufre et vermillon, les pour-suit en se tordant de rire.]

TYLTYL. Qu’est-ce que c’est que ces vilains bonshommes?…

LA FÉE. Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles se trouvaient à l’étroit…

TYLTYL. Et le grand diable rouge qui sent mauvais?…

LA FÉE. Chut!… Ne parle pas trop haut, c’est le Feu… Il a mauvais caractère.

[Ce dialogue n’a pas interrompu la féerie. Le Chien et la Chatte, couchés en rond au pied de l’armoire, poussant simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, et à leur place surgissent deux personnages, dont l’un porte un masque de bouledogue, et l’autre une tête de chatte. Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue – que nous appellerons dorénavant le Chien – se précipite sur Tyltyl qu’il embrasse violemment et accable de bruyantes et impétueuses caresses, cependant que la petite femme au masque de chatte – que nous appellerons plus simplement la Chatte – se donne un coup de peigne, se lave les mains et se lisse la moustache, avant de s’approcher de Mytyl.]

LE CHIEN [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable]. Mon petit dieu!… Bonjour! bonjour, mon petit dieu!… Enfin, enfin, on peut parler! J’avais tant de choses à te dire!… J’avais beau aboyer et remuer a queue!… Tu ne comprenais pas!… Mais maintenant!… Bonjour! bonjour!… Je t’aime!… Je t’aime!… Veux-tu que je fasse quelque chose d’étonnant?… Veux-tu que je fasse le beau?… Veux-tu que je marche sur les mains ou que je danse à la corde?…

TYLTYL [à la Fée]. Qu’est-ce que c’est que ce monsieur à tête de chien?…

LA FÉE. Mais tu ne vois donc pas?… C’est l’âme de Tylô que tu as délivrée…

LA CHATTE [s’approchant de Mytyl et lui tendant la main, cérémonieusement, avec circonspection]. Bonjour, Mademoiselle… Que vous êtes jolie ce matin!…

MYTYL. Bonjour, Madame… [À la Fée.] Qui estce?…

LA FÉE. C’est facile à voir; c’est l’âme de Tylette qui te tend la main… Embrasse-la…

LE CHIEN [bousculant la Chatte]. Moi aussi!… J’embrasse le petit dieu!… J’embrasse la petite fille!… J’embrasse tout le monde!… Chic!… On va s’amuser!… Je vais faire peur à Tylette!… Hou! hou! hou!…

LA CHATTE. Monsieur, je ne vous connais pas…

LA FÉE [menaçant le Chien de sa baguette]. Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le silence, jusqu’à la fin des temps…

[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s’est mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l’autre angle, se prend à chanter d’une voix sur-aiguë et, se transformant en fontaine lumineuse, inonde l’évier de nappes de perles et d’émeraudes, à travers lesquelles s’élance l’âme de l’Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le Feu.]

TYLTYL. Et la dame mouillée?…

LA FÉE. N’aie pas peur, c’est l’Eau qui sort du robinet…

[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur le sol; et du lait répandu s’élève une grande forme blanche et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]

TYLTYL. Et la dame en chemise qui a peur?…

LA FÉE. C’est le Lait qui a cassé son pot…

[Le Pain-de-sucre posé au pied de l’armoire grandit, s’élargit et crève son enveloppe de papier d’où émerge un être doucereux et papelard, vêtu d’une souquenille mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, s’avance vers Mytyl.]

MYTYL [avec inquiétude]. Que veut-il?…

LA FÉE. Mais c’est l’âme du Sucre!…

MYTYL [rassurée]. Est-ce qu’il a des sucres d’orge?…

LA FÉE. Mais il n’a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en est un…

[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d’une incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles transparents et éblouissants, et se tient immobile en une sorte d’extase.]

TYLTYL. C’est la Reine!

MYTYL. C’est la Sainte Vierge!…

LA FÉE. Non, mes enfants, c’est la Lumière…

[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme des toupies hollandaises, l’armoire à linge claque ses battants et commence un magnifique déroulement d’étoffes couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent l’échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes sont frappés à la porte de droite.]

TYLTYL [effrayé]. C’est papa!… Il nous a entendus!…

LA FÉE. Tourne le Diamant!… De gauche à droite!… [Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!… Mon Dieu! Il est trop tard!… Tu l’as tourné trop brusquement. Ils n’auront pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des ennuis… [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l’horloge, le Rouet s’arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n’a pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en poussant des rugissements d’épouvante.] Qu’y a-t-il?…

LE PAIN [tout en larmes]. Il n’y a plus de place dans la huche!…

LA FÉE [se penchant sur la huche]. Mais si, mais si… [Poussant les autres pains qui ont repris leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous…

[On heurte encore la porte.]

LE PAIN [éperdu, s’efforçant vainement d’entrer dans a huche]. Il n’y a pas moyen!… Il me mangera le premier!…

LE CHIEN [gambadant autour de Tyltyl]. Mon petit dieu!… Je suis encore ici!… Je puis encore parler! Je puis encore t’embrasser!… Encore! encore! encore!…

LA FÉE. Comment, toi aussi?… Tu es encore à?…

LE CHIEN. J’ai de la veine… Je n’ai pas pu rentrer dans le silence; la trappe s’est refermée trop vite.

LA CHATTE. La mienne aussi… Que va-t-il arriver?… Est-ce que c’est dangereux?

LA FÉE. Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage…

LA CHATTE. Et ceux qui ne les accompagneront pas?…

LA FÉE. Ils survivront quelques minutes…

LA CHATTE [au Chien]. Viens, rentrons dans la trappe…

LE CHIEN. Non, non!… Je ne veux pas!… Je veux accompagner le petit dieu!… Je veux lui parler tout le temps!…

LA CHATTE. Imbécile!…

[On heurte encore à la porte.]

LE PAIN [pleurant à chaudes larmes]. Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!… Je veux rentrer tout de suite dans ma huche!…

LE FEU [qui n’a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en poussant des sifflements d’angoisse]. Je ne trouve plus ma cheminée!…

L’EAU [qui tente vainement de rentrer dans le robinet]. Je ne peux plus rentrer dans le robinet!…

LE SUCRE [qui s’agite autour de son enveloppe de papier]. J’ai crevé mon papier d’emballage!…

LE LAIT [lymphatique et pudibond]. On a cassé mon petit pot!…

LA FÉE. Sont-ils bêtes, mon Dieu!… Sont-ils bêtes et poltrons!… Vous aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, dans vos trap-pes et dans vos robinets que d’accompagner les enfants qui vont chercher l’Oiseau?…

TOUS [à l’exception du Chien et de la Lumière]. Oui! oui! Tout de suite!… Mon robinet!… Ma huche!… Ma cheminée!… Ma trappe!…

LA FÉE [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa lampe]. Et toi, la Lumière, qu’en dis-tu?…

LA LUMIÈRE. J’accompagnerai les enfants…

LE CHIEN [hurlant de joie]. Moi aussi! moi aussi!…

LA FÉE. Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; vous n’avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous… Mais toi, le Feu, ne t’approche de personne, toi, le Chien, ne taquine pas la Chatte, et toi, l’Eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas couler partout…

[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]

TYLTYL [écoutant]. C’est encore papa!… Cette fois, il se lève, je l’entends marcher…

LA FÉE. Sortons par la fenêtre… Vous viendrez tous chez moi, où j’habillerai convenablement les animaux et les phénomènes… [Au Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra l’Oiseau Bleu… Tu en auras a garde… Vite, vite, ne perdons pas de temps…

[La fenêtre s’allonge brusquement, comme une porte. Ils sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme primitive et se referme innocemment. La chambre est redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans l’ombre. La porte à droite s’entr’ouvre, et dans l’entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère Tyl.] LE PÈRE TYL. Ce n’était rien… C’est le grillon qui chante…

LA MÈRE TYL. Tu les vois?…

LE PÈRE TYL. Bien sûr… Ils dorment tranquillement…

LA MÈRE TYL. Je les entends respirer…

[La porte se referme.]
RIDEAU
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